Triste tigre, Neige Sinno : Mon avis
Quatrième de couverture :
J’ai voulu y croire, j’ai voulu rêver que le royaume de la littérature m’accueillerait comme n’importe lequel des orphelins qui y trouvent refuge, mais même à travers l’art, on ne peut pas sortir vainqueur de l’abjection. La littérature ne m’a pas sauvée. Je ne suis pas sauvée.
Triste réalité.
Présent dans la sélection Goncourt 2023, Triste tigre m’a d’abord interpellée par l’opposition entre la puissance de son titre et la douceur du prénom de son autrice, Neige Sinno. Le passage de l’écrivaine sur le plateau de La Grande Librairie m’a convaincue de lire son témoignage. Triste tigre est paru le 17 août dernier aux éditions P.O.L.
Durant de longues années, la petite Neige a été abusée par son beau-père, parfois quotidiennement, au sein même du domicile familial. L’inceste a démarré lorsqu’elle avait 7 ou 8 ans, sous prétexte d’un amour fou. Après le silence, l’adolescente a porté plainte, pour protéger d’éventuelles futures victimes.
Aujourd’hui, c’est dans le même objectif que Neige Sinno témoigne. Nulle volonté de sauvetage par l’écriture, nul désir de se libérer par la parole. L’écrivaine sait que tout cela n’existe pas. Les mots ne soulagent pas, n’effacent rien et ne permettent en aucun cas de tourner la page.
« Il disait qu’il m’aimait. Il disait que c’est pour pouvoir exprimer cet amour qu’il me faisait ce qu’il me faisait, il disait que son souhait le plus cher était que je l’aime en retour. Il disait que s’il avait commencé à s’approcher de moi de cette manière, à me toucher, me caresser c’est parce qu’il avait besoin d’un contact plus étroit avec moi, parce que je refusais de me montrer douce, parce que je ne lui disais pas que je l’aimais. Ensuite, il me punissait de mon indifférence à son égard par des actes sexuels. »
A la place, l’autrice recherche une vérité. En analysant les faits, en décrivant son bourreau et en étudiant différentes œuvres sur le sujet – Lolita de Nabokov notamment -, Neige Sinno tente de comprendre ce qui a amené le second mari de sa mère à abuser d’elle.
Le texte est éminemment dur, cru, percutant. L’écriture est plate et factuelle. Si l’écrivaine bouleverse par son histoire, elle interroge aussi et livre une fine réflexion sur le sujet. Objet hybride, l’ouvrage oscille entre l’essai et le récit intime.
Triste tigre est de ces livres nécessaires, à la force rare, qui n’a pas prétention à choquer ni à victimiser. Neige Sinno dit la peur, pour sa fille et pour les autres enfants. Elle raconte sa pensée sans cesse animée par la crainte.
A lire, absolument.
A lire aussi : dans la même écriture plate que Neige Sinno, et bien avant elle, Annie Ernaux relate le viol dont elle a été victime en 1958 dans son livre Mémoire de fille. Ma chronique est à relire par ici.
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