L’événement, Annie Ernaux : Mon avis
Quatrième de couverture :
L’occasion d’un banal examen dans un cabinet médical replonge la narratrice plus de trente ans en arrière, en janvier 1964, au moment de son avortement clandestin. Si le souvenir apparaît lointain, l’événement n’en est pas moins indélébile. A la fois égarée et démunie, pendant deux mois, la jeune femme d’alors a caché sa grossesse, à ses parents comme à ses amis proches, cherché désespérément une « faiseuse d’anges ». C’est à Paris, rue Cardinet, que la narratrice trouvera l’infirmière clandestine qui lui plongera dans le sexe la sonde nécessaire. Et c’est à Rouen, dans sa chambre d’étudiante, banale et dérisoire, en compagnie de sa voisine, qu’elle sera « assise sur le lit, avec le fœtus entre les jambes », véritable « scène de sacrifice ». Pour la narratrice, il s’agit « d’entraîner l’interlocuteur dans la vision effarée du réel ».
Du livre au film…
A l’occasion de la sortie en salle de son adaptation, j’ai lu L’événement d’Annie Ernaux. Paru en 2000 chez Gallimard, le livre raconte l’avortement qu’a vécu l’écrivaine à l’hiver 64. Annie Ernaux est aujourd’hui l’auteure d’une vingtaine d’ouvrages.
Étudiante en lettres en vue de devenir écrivaine, Annie est bouleversée lorsqu’elle apprend sa grossesse. Il n’est pas question de garder cet enfant, aux dépens de ces études ou de sa vie de femme. Annie veut pouvoir décider du moment où elle deviendra mère. A l’heure où la peine de mort est encore pratiquée, bien avant le manifeste des 343 salopes et de la loi Veil, l’avortement est illégal en France. Et quiconque le pratique ou le subit, s’expose à une peine d’emprisonnement.
C’est dans ce contexte que la jeune femme cherche de l’aide. Les différents gynécologues et soignants qui l’examinent refusent d’obéir à sa demande. Et dans le cercle amical qui l’entoure à l’université, Annie ne trouve pas d’oreilles prêtes à l’écouter. Déterminée, l’étudiante tente même une pratique dangereuse, seule dans sa chambre de la cité U. Les semaines passent et la persévérance de la jeune fille paie. Elle obtient finalement le contact d’une « faiseuse d’anges » dans la capitale, après douze semaines de gestation…
« Au mois d’octobre 1963, à Rouen, j’ai attendu pendant plus d’une semaine que mes règles arrivent. C’était un mois ensoleillé et tiède. Je me sentais lourde et moite dans mon manteau ressorti trop tôt, surtout à l’intérieur des grands magasins où j’allais flâner, acheter des bas, en attendant que les cours reprennent. En rentrant dans ma chambre, à la cité universitaire des filles, rue d’Herbouville, j’espérais toujours voir une tache sur mon slip. J’ai commencé d’écrire sur mon agenda tous les soirs, en majuscules et souligné : RIEN. »
En 2021, mener un tel combat pour défendre son corps semble surréaliste. Heureusement, des écrivaines et réalisatrices comme Annie Ernaux et Audrey Diwan sont là pour mettre en lumière ces sombres épreuves du passé. J’ai été chamboulée à la fois par le texte original et par le film. J’ai eu la nausée, en découvrant les mots d’Annie Ernaux, en lisant sa douleur, son acharnement et les risques encourus. Je suis ressortie du cinéma complètement remuée, sans parole, presque abasourdie par la cruauté et la réalité des faits.
Le réel, celui si bien décrit par l’écrivaine, est ancré dans les images portées à l’écran. C’est brutal, violent, cru mais vrai. En voyant le film, et au même titre qu’en lisant L’événement, quelque chose m’a véritablement interpellée : voilà ce que à quoi étaient confrontées toutes les femmes vingt ans avant ma naissance. Voilà ce à quoi elles avaient droit. Le chemin parcouru est vite oublié.
Aujourd’hui, j’ai juste envie de dire MERCI. Merci Madame Ernaux pour votre témoignage, essentiel et nécessaire. Merci Audrey Diwan, pour cette adaptation bouleversante. Merci à ces femmes, pour leur courage, leur force, leurs actions.
Et attention, car si les choses ont évolué, rien n’est acquis.
Lisez L’événement, et foncez en salle avant qu’il ne soit trop tard !