Les ailes collées, Sophie de Baere : Mon avis
Quatrième de couverture :
« Sa poésie à Paul, c’était Joseph. Et Joseph n’était plus là. »
Suis-je passé à côté de ma vie ? C’est la question qui éclabousse Paul lorsque, le jour de son mariage, il retrouve Joseph, un ami perdu de vue depuis vingt ans.
Et c’est l’été 1983 qui ressurgit soudain. Celui des débuts flamboyants et des premiers renoncements. Avant que la violence des autres fonde sur lui et bouleverse à jamais son existence et celle des siens.
Roman incandescent sur la complexité et la force des liens filiaux et amoureux, Les ailes collées explore, avec une sensibilité rare, ce qui aurait pu être et ce qui pourrait renaître.
Roman primé.
L’émotion est palpable au moment de poser mes doigts sur le clavier. Cette chronique, plus qu’une autre je le sens, va être difficile à rédiger. J’ai l’habitude, maintenant, avec les romans comme celui-ci. Leur puissance est telle que j’ai peur de les abîmer en les évoquant. Cela m’arrive une fois par an, deux tout au plus. C’est vous dire le bouleversement provoqué par l’ouvrage de Sophie de Baere. Les ailes collées est paru aux éditions JC Lattès en février dernier. Il a reçu hier le Prix Maison de la Presse, pour lequel j’ai eu l’honneur d’être jurée.
Un cadeau de mariage empoisonné. Voilà à quoi ressemble la surprise d’Ana. En découvrant son vieil ami Joseph, Paul est abasourdi. Depuis combien de temps ne se sont-ils pas vus ? Comment son épouse a-t-elle retrouvé sa trace ? Et pourquoi Joseph a-t-il accepté l’invitation ? Entre les rires et l’euphorie générale, l’été 1983 refait soudain surface. Les souvenirs affluent. Bons comme mauvais…
C’est une histoire universelle et presque, j’allais dire, intemporelle. Celle d’un amour brûlant, incandescent, interdit pour certains, oublié pour d’autres. Mais lorsque Paul rencontre Joseph en 83, il est d’abord question d’amitié. De solidarité, de jeu, de fraternité. Paul est impressionné par la vie de nomade de son nouveau voisin. Moqué par ses camarades de classe à cause de son bégaiement, le jeune garçon est surpris d’être enfin accepté par Joseph.
« En ce mois de juillet, la température pouvait atteindre les 30 degrés. Une chaleur ardente, éreintante. Il est peut-être 22 ou 23 heures et Paul se revoit avec une netteté surprenante : allongé sur son lit, enfermé dans ses quatorze ans et crevant d’ennui. Des jours à rallonge, sans que rien ne survienne. Comme si l’existence n’avait rien prévu pour lui ou alors quelque chose qui le dépassait. »
Puis, les corps n’en peuvent plus. Crevant d’envie et croyant être seuls, les deux adolescents laissent leur désir réagir. Dans l’obscurité d’une nuit, un baiser suffit à faire d’eux des « pédés« , des « tantouzes« , des « enculés« . Déjà victime de rejet, Paul se voit maintenant insulter et bousculer quotidiennement au sein de son collège, dans le silence général.
Si l’action du livre se joue dans les années 80, son récit est encore terriblement d’actualité. A travers le personnage de Paul, Sophie de Baere dénonce le harcèlement scolaire, l’homophobie et le mutisme de tous face à ces fléaux. Avec justesse, elle décrit des scènes d’une lourde gravité, ancrée dans la réalité.
Digne d’un page turner, Les ailes collées est rythmé par des chapitres courts, un style incisif et un sens du suspense maîtrisé. D’une plume aiguisée, l’écrivaine dresse le portrait d’un héros attachant et blessé, en quête d’identité. Après l’avoir aimé en première partie du livre, j’ai adoré détester ce protagoniste devenu lâche, menteur et fuyard.
Sophie de Baere déploie un roman d’une grande intensité, à la fois violent et humain. Un texte nécessaire, qui remue, agite, et interpelle encore longuement après l’avoir refermé. Un coup de poing à recevoir, et à porter ensuite…