La petite danseuse de quatorze ans – Camille Laurens
Quatrième de couverture :
Elle est célèbre dans le monde entier mais combien connaissent son nom ? On peut admirer sa silhouette à Paris, New York ou Copenhague, mais où est sa tombe ? On ne sait que son âge, quatorze ans, et le travail qu’elle faisait, car c’était déjà un travail, à cet âge où nos enfants vont à l’école. Dans les années 1880, elle dansait comme petit rat à l’Opéra de Paris ; mais comme elle était pauvre et que son labeur ne suffisait pas à la nourrir, elle ni sa famille, elle posait aussi pour des peintres ou des sculpteurs. Parmi eux, il y avait Edgar Degas.
De petit rat de l’Opéra à œuvre mondiale
Happée par la posture de La petite danseuse en couverture, le livre de Camille Laurens m’appelait sur les étals de la librairie du musée d’art moderne André Malraux du Havre. Après mon récent coup de cœur pour Fille, signée de la main de l’écrivaine, je me procurais un exemplaire et filais vers la sortie. Publié en 2017 chez Stock, La petite danseuse de quatorze ans est le septième essai de Camille Laurens.
Qui est-elle, cette « poupée de cire », modelée par le célèbre Edgar Degas et refusée au salon des Indépendants en 1881 ? Qui se cache derrière ce visage levé, ces traits aztèques et ce corps frêle ? Marie Geneviève Van Goethem est née le 7 juin 1865 et elle a quatorze ans lorsque le peintre la choisit pour poser pour sa prochaine œuvre. Si l’on connaît tous aujourd’hui cette sculpture, la jeune danseuse reste anonyme pour beaucoup. Cent trente ans plus tard, Camille Laurens la met en lumière.
Intriguée depuis toujours par le corps enfantin et léger de La petite danseuse, la romancière livre une biographie captivante et instructive sur ce petit rat de l’Opéra. D’origine belge et émigrée dans la capitale française pour fuir la misère avec toute sa famille, Marie Geneviève Van Goethem est employée à l’âge de huit ans par l’Opéra de Paris. Comme ses deux sœurs et de nombreuses petites filles à l’époque, elle s’entraîne à raison de dix à douze heures par jour, six jours sur sept, pour un salaire de 2 francs quotidiens. En plus de côtoyer la pauvreté la plus totale et afin de gagner un peu d’argent pour survivre, les jeunes danseuses sombrent dès l’adolescence dans la prostitution. Un triste passé dont j’ignorais totalement les détails avant ma lecture.
« Depuis longtemps, son image m’accompagne, elle est posée sur mon bureau, sur mes étagères. Elle a le nez en l’air, elle ne me regarde pas, mais en même temps je me sens proche, elle me regarde en un autre sens. Chaque fois que j’entre dans la salle d’un musée où elle se trouve et où je suis venue la chercher, pour une raison dont je n’ai pas le secret, mon cœur se serre. »
Outre le sort tragique des petits rats et les racines familiales de La petite danseuse de quatorze ans, Camille Laurens s’interroge également sur l’œuvre. Quelles raisons ont poussé l’artiste à choisir la jeune Marie comme modèle ? Pourquoi, au grand dam de ses maîtres, Edgard Degas a opté pour une sculpture en cire ? Que voulait-il dénoncer à travers ces formes et cette nudité à peine voilée ? Lui, le misogyne, l’homme solitaire, si désagréable avec ses danseuses.
A la fin de son récit, Camille Laurens prend la parole. Avec émotion et transparence, l’auteure explique la passion pour la danse, avant celle de l’écriture. Elle revient sur les mois de recherche et les rencontres faites pour la construction de son ouvrage.
Une plume brillante, un XIXe siècle déroutant, une héroïne touchante, un homme de génie et un milieu artistique passionnant. Tout cela donne un document riche et très intéressant, à lire pour les curieux de peinture – ou non – comme moi.