Celle qui criait au loup, Delphine Saada : Mon avis
Quatrième de couverture :
Albane est une infirmière modèle, respectée et appréciée de ses collègues, qui pourtant ne savent rien d’elle. Après des journées éreintantes dans son service, elle s’occupe de ses deux enfants jusqu’au retour de leur père. Elle le fait parce qu’il le faut, sans plaisir. Depuis peu, quelque chose la déstabilise et la dérange chez sa fille de six ans. Albane développe un comportement inquiétant envers Emma, au point d’alerter son mari qui ne lui laisse pas le choix…
D’une écriture intense et fulgurante, Delphine Saada décrit l’effondrement d’une femme contrainte
à revenir sur son passé, signant un roman qui trouble et bouleverse.
Un premier roman nécessaire, brutal, violent.
En avril dernier, je vivais une expérience de jurée pour le prix Maison de la Presse, m’imposant la lecture des six romans en lice. Parmi les titres, des livres que je n’aurais probablement pas choisis en librairie, et que je suis heureuse aujourd’hui de pouvoir vous recommander. Celle qui criait au loup, premier roman de Delphine Saada paru en janvier aux éditions Plon, en fait partie.
Pourquoi, après 6 ans, Albane en vient à détester sa fille ? Quel a été l’élément déclencheur de ce rejet, soudain et violent ? Et jusqu’où ira ce dégoût ? Après plusieurs dérives, Sebastian, le mari d’Albane, prend peur. Il oblige sa femme à consulter un professionnel de santé, sous peine de la quitter. Pourtant infirmière, la jeune mère n’a aucune confiance dans le psychologue qu’elle consulte. Hautaine et moqueuse, Albane mettra plusieurs séances à comprendre l’enjeu de ces entretiens…
« Elle était tombée enceinte d’Emma. Tomber est le mot. Elle ne s’y était pas attendue. Pas aussi vite, en tout cas. Pourtant, déjà trois ans qu’ils étaient ensemble, et un an de mariage. Elle aurait préféré patienter un peu, profiter de lui, demeurer le centre de ses attentions pour quelque temps encore. »
Angoissant et mystérieux, le début du récit nous immerge dans un thriller psychologique glaçant. Non sans rappeler l’ambiance du roman d’Ashley Audrain, Entre toutes les mères (éd. JC Lattès, 2021), le texte de Delphine Saada révolte et bouleverse à la fois. L’écrivaine dresse le portrait d’une héroïne détestable, antipathique, étrange et secrète. Elle décrit une mère de famille à bout, sur les nerfs, ne jurant que par son fils, et refusant toute aide. Les mots d’Albane sont inquiétants et laissent présager le pire.
Le livre prend sa force dans la rencontre entre l’héroïne et son médecin. Petit à petit, les souvenirs affluent et le diagnostic du thérapeute est posé. Derrière les maux d’Albane, l’horreur, l’indicible. Aussitôt, le lecteur compatit, il comprend. Delphine Saada lève le voile sur un sujet de société capital, souvent oublié de la justice française. Un enjeu de taille pour de nombreuses victimes.
Si certains membres de jury ont pu relever un manque de luminosité dans cette histoire, je reconnais la justesse du ton posé par l’autrice, la puissance de son écriture et le poids des mots. Delphine Saada raconte, elle n’enjolive pas. D’une fin brutale, elle assène un dernier coup, marquant le lecteur d’une empreinte inoubliable. Celle qui criait au loup était mon deuxième choix dans la sélection ambitieuse de ce prix littéraire.