Fille – Camille Laurens
Quatrième de couverture :
FILLE, nom féminin
1. Personne de sexe féminin considérée par rapport à son père, à sa mère.
2. Enfant de sexe féminin.
3. (Vieilli.) Femme non mariée.
4. Prostituée.
Laurence Barraqué grandit avec sa sœur dans les années 1960 à Rouen.
« Vous avez des enfants? demande-t-on à son père. – Non, j’ai deux filles », répond-il.
Naître garçon aurait sans doute facilité les choses. Un garçon, c’est toujours mieux qu’une garce. Puis Laurence devient mère dans les années 1990. Être une fille, avoir une fille : comment faire ? Que transmettre ?
« C’est une fille ». Ça commence avec un mot, comme la lumière ou comme le noir. Ta naissance ressemble à la création du monde, et il y a le ciel et il y a la terre, une parole coupe en deux l’espace, fend la foule, sépare le temps. […] Tu nais d’un mot comme d’une rose, tu éclos sous la langue. Tu n’es rien encore, à peine un sujet, tu peines à venir à l’existence ; tu ne peux pas encore dire « je suis », personne ne dit « elle est », même au passé, « et la fille fut », même avec un article indéfini, « et une fille fut », ça ne se dit pas. […] Les faits parlent pour toi. Née fille. »
Mon avis :
Un peu comme on ne choisit pas de donner naissance à un garçon ou à une fille, je n’ai pas décidé de lire ce livre. C’est lui qui est venu à moi. Offert par une amie blogueuse, Fille est mon premier Camille Laurens, probablement pas le dernier.
Lorsque Laurence Barraqué vient au monde en 1959, sa condition de fille lui forge un destin familial tout tracé. Parce qu’elle n’est (ou naît) pas un garçon, Laurence devra subir les réflexions misogynes et machistes de son paternel. Sa parole est sans cesse mise en doute, au même titre que ses facultés intellectuelles. Sans parler des commentaires sur son physique…
A son tour, trente ans plus tard, Laurence donne naissance à une fille. Les mots entendus et répétés dans son enfance vont-ils influencer sa façon d’être mère ? Aurait-elle préféré elle aussi élever un beau mâle ? Tous ces regrets vont-ils provoquer des impacts dans la vie de sa fille Alice ?
Autobiographie ou fiction ? Camille Laurens dépeint avec réalisme les travers d’une époque et d’une génération en voie de disparition. Si Fille est un roman, la précision du récit laisse deviner certains morceaux du passé de son auteure. Derrière la naissance regrettée de son héroïne, c’est le dysfonctionnement de notre société qui est décrit. Alors qu’en Inde, on interdit aux parents de connaître le sexe de l’enfant avant l’accouchement, en France, on demande aux petites filles de se taire lorsqu’un oncle ou un voisin a la main baladeuse…
A l’ère du féminisme, de #metoo et de #balancetonporc, le texte de Camille Laurens bouscule. Née en 1959 comme Laurence Barraqué ou en 1986 comme moi, certains faits, certaines paroles du roman font écho à notre propre histoire. Encore aujourd’hui, que nous naissions fille ou garçon ne représente pas la même chose pour l’avenir. Et c’est avec force et violence que Camille Laurens le retranscrit. Avec arrogance, la narratrice (Laurence) s’interpelle. Elle utilise le « tu » pour narrer son enfance.
L’écrivaine jongle et joue avec le poids des mots. Elle s’interroge sur le choix des phrases, sur l’interprétation de certaines injonctions. Le père de la protagoniste est radin, macho, menteur et manipulateur. Son discours conservateur hantera Laurence durant longtemps.
Fille bouleverse, enrage, retourne, remue, frappe, blesse, perturbe et chamboule. Merci Camille Laurens.